Lire avec un Chat
Les Livres Anciens
On parle des écrivains et de leurs chats. On fait de l’animal le meilleur ami de l’homme de plume. On crée ainsi un duo d’une harmonie parfaite et on laisse planer l’idée que écrire et avoir un chat, cela va très bien ensemble. Pour preuve de cette évidence, on a parlé de la complicité naturelle entre ces deux figures, presque mimétique dans leur besoin de solitude. Mais surtout du besoin de l’un – l’écrivain – pour l’autre – le chat. Aldous Huxley préconisait à ceux qui voulaient s’engager dans le métier de prendre chat. Victor Hugo n’avait-il pas eu son Chanoine, vénéré comme un prince, et George Sand son Minou, qu’elle laissait manger dans son écuelle de petit-déjeuner ? Mais peut-on réellement écrire avec un chat ?
Pierre Loti, qui s’attachait à ses Moumouttes comme un enfant à son ours en peluche, rappelle combien la relation est franchement une servitude : le chat oblige son maître à lui tenir compagnie. Il n’est pas difficile d’imaginer que Loti, quand il revenait de ses escapades exotiques pour s’asseoir à un bureau, vivait le même calvaire que sa mère et sa tante Claire quand, les soirs d’hiver, Moumoutte montait sans y être invitée sur la table d’ouvrage et dévidait les pelotes de laine. Car si le chat aime les hauteurs, il aime surtout qu’on ne l’oublie pas et vient parader alors hauteur d’yeux, comme pour mettre le monde à son échelle. Il aime aussi le contact de ses pattes avec le papier, de préférence japon, et s’y couche voluptueusement. La plume et le stylo l’énervent, le provoquent. Dans la version moderne du métier, la souris de l’ordinateur ne porte pas bien son nom, le chat n’ayant pas notre fascination maladive pour les écrans et le virtuel. Il préférera toujours le papier, la laine et le feutre. Les genoux aussi. Le chat gêne l’écrivain qui ne pratique pas les postures immobiles des grands méditants. Mais Loti, lui, n’a pas le cœur à déranger la petite bête qui ose d’un œil mi-clos des coups de pattes vers sa plume.
Malgré tout, les livres se sont écrits avec les chats. Et le libraire, héritier de ces créations négociées avec les félins, doit parfois gentiment chasser les chats qui aimeraient s’y faire les dents. Mais c’est là une autre histoire.